A quoi bon la philosophie (1)

Publié le par Antholan

La question était celle-ci : Peut-on aujourd'hui mettre en pratique l'outil philosophique ?

 

Par Antonin

 

Oui, je me souviens de t'avoir parlé de l'utilisation de la philosophie comme une « médecine de l'âme ». Je crois que ce genre d'idées ont déjà été réexplorées aux États-Unis et il me semble avoir lu un jour qu'il existait des cabinets spécialement consacrés à ce genre de pratique. J'ai dit « réexplorées », parce que cette conception de la philosophie remonte à l'antiquité. C'est particulièrement visible dans les philosophies post-aritotéliciennes et notamment dans le stoïcisme et l'épicurisme. Ce dernier va jusqu'à subordonner toute la physique et la logique à l'éthique laquelle vise le bonheur humain. La connaissance n'a pas de valeur si elle ne sert pas à rendre l'homme meilleur ou moins troublé. Dans le stoïcisme, le bonheur joue évidemment un rôle central, mais je ne saurais dire si tout doit lui être subordonné. En somme, la philosophie s'est vêtu pendant quelques siècles d'un habit blanc. Il y a eu sans doute beaucoup de rebondissements et, aujourd'hui, la philosophie est un concept assez flou. Mais je pense qu'on ne fait plus de la philosophie dans un but véritablement thérapeutique, mais par intérêt ou amour du savoir. Pour de nombreuses personnes, la philosophie est une connaissance, et tu as dû bien t'en rendre compte à l'université. Pour les plus doués, elle est aussi recherche: soit ils donnent la main à la science dans le domaine de la philosophie de l'esprit, soit ils s'intéressent à des questions subtiles et complexes, à des philosophies oubliées ou essaye de réinterpréter tel ou tel grand philosophes... Je néglige beaucoup d'autres facettes de la philosophie actuelle, mais je crois qu'aujourd'hui la philosophie thérapeutique est reléguée au second plan, voire même dénigrée, tout au plus reconnue comme une direction prise par certaines philosophies antiques. L'université a évidemment la main-mise sur la philosophie: on étudie la philosophie à la troisième personne, comme le scientifiques manipule la matière inerte. On ne cherche pas à revivre les philosophies ou à les utiliser dans un but thérapeutique. Je ne reproche rien à cet apprentissage, ce n'est pas le rôle de l'université de nous les faire revivre: elle cherche à nous les faire comprendre, car c'est l'objectif qu'elle s'est fixée. Néanmoins, l'université est une manière parmi d'autres d'approcher la philosophie et il est possible d'essayer de faire de la philosophie hors de ce milieu. La philosophie « universitarisée » n'empêche pas forcément à un autre type de philosophie de se développer. Cette philosophie existe sans doute, mais se fait très discrète et ose à peine se nommer philosophie. On la confond avec de la psychologie de bas étages ou de la sagesse à prix réduit. C'est vrai qu'il est difficile de garder la rigueur philosophique pour essayer de « soigner ». Les philosophes antiques ont-ils réussi à soigner leurs congénères ? Je ne saurais le dire, mais il faut introduire deux remarques: d'abord, la philosophie, dans l'antiquité, restait une pratique noble et difficile. S'adressait-elle vraiment à tout le monde ou seulement aux meilleurs ? Ensuite, on ne peut simplement faire un copier/coller des anciennes philosophies qui se sont médicalisées. L'époque a évidemment changé depuis.
Je voudrais aussi parler un peu de la manière dont la philosophie peut « soigner ». D'abord, elle s'adresserait à tout le monde et n'aurait pas la condescendance qu'elle a pu parfois avoir à travers l'histoire. Ce ne serait pas un « soin » adressé à une élite. Il n'y aura pas non plus de maladie ni de santé, mais des questions. Il n'y aura pas de réponses, mais des voies. Le « patient » (on se voit obligé, dans un premier temps, d'utiliser des termes médicaux, mais il sera facile d'y remédier) sera un compagnon de voyage du « médecin » et non pas son objet d'étude. Le « médecin » sera un guide tranquille de la pensée qui aura des connaissances. Ici intervient la philosophie en tant que connaissance. Le « médecin » devra accomplir un « diagnostic », c'est-à-dire comprendre la personnalité du patient pour faire un tri des philosophes et des philosophies qui semblent appropriés à aider le « patient ». Il faut comprendre ce tri comme le choix des escales d'un long voyage. Petit à petit, le « patient » apprendra à développer un esprit critique et une sensibilité à la réflexion pour qu'il puisse essayer de résoudre ses problèmes s'il en a (car il n'y pas besoin d'avoir des problèmes pour « consulter »). En outre, la « consultation » ne sera pas une distribution de bien-être, le « médecin » ne vend pas du bonheur, mais aiguise un sens propre à l'homme que certains n'ont pas eu l'envie ou la possibilité de développer antérieurement. La fin de la « thérapie » dépend entièrement du « patient ». C'est lui qui doit savoir quand il se sent apte à cheminer seul sur les grandes routes de la vie, parce que l'on est toujours, d'une certaine manière, seul: les autres ne peuvent pas nous concocter des systèmes prêts à l'emploi qui nous siérait parfaitement. Et c'est bien là qu'intervient cette philosophie thérapeutique: aider les gens à vivre leur époque en humains, humains qui ne cessent jamais d'avoir des problèmes, mais qui savent gérer positivement ces mêmes problèmes quand ils sont une source de réflexion et d'étonnement et pas seulement de désagréments.

Voilà pour te donner un aperçu... Évidemment, le sujet doit être encore mille fois exploré. Et toi, où t'a mené ta réflexion ?

Publié dans Philosophie

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Commenter cet article
J
<br /> Je suis persuadé que la philosophie a un aspect thérapeutique. Je pense que cet aspect thérapeutique trouve son efficacité la plus grande dans la controverse orale ou publique. J'ai l'impression<br /> que la lecture philosophique est moins thérapeutique, elle offre un aspect structurant à la personnalité. L'écriture philosophie peut certainement revêtir les deux aspects.<br /> <br /> <br />
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