Le divertissement

Publié le par Antholan

 

Divertissement.
   Quand je m’y suis mis quelquefois, à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achètera une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.

   Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

   Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu’on s’en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et se divertit.

Blaise Pascal, Pensées, (éd. Brunschvicg n° 139)

 

 

 

 

Si je ne suis pas aussi radical qu'un Pascal quant aux effets du divertissement sur la nature humaine (laissons nous le droit de contempler la nature), je pense néanmoins que l'abus que nous en faisons aujourd'hui est nocif dans le sens où il ne nous laisse plus le temps de réfléchir à notre condition. Comme le disait Cioran, "un homme ennuyeux est un homme incapable de s'ennuyer", car vide de substance, de toute pensée propre.  Il recherche la compagnie, le divertissement pour combler l'ennui qui lui fait peur.

Chacun nourrit cette peur inconsciente de se retrouver face à d'importants questionnements moraux : sur ce qu'il est, ce qu'il est en droit de faire et doit faire dans cette existence. Ce devrait pourtant être un devoir moral que d'exploiter les capacités offertes par la nature, d'utiliser pleinement son potentiel de créativité afin de constamment tendre vers un absolu de perfection, qu'il soit individuel ou sociétal. 

D'un point de vue métaphysique, Il faut donc tenter de dépasser cette peur originelle, cette angoisse face à l'absurdité de notre condition, quitte à apercevoir qu'après avoir gravit un sommet, il s'en trouve un autre, plus grand, derrière.

Il y a de la grandeur, de la noblesse dans la tragédie de notre condition, c'est peut-être là ou peut résider notre seule fierté.

Alors cessons de recouvrir ce qui nous reste du voile grotesque tissé par ce mode de vie qui nous ridiculise.

Publié dans Philosophie

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